premières gorgées de bière
un après-midi d'automne pluvieux, un homme, la trentaine bedonnante, progresse cahotiquement deçà, delà, lors d'un rassemblement festif & populaire
pourquoi ?
pour fuir l'ennui d'un dimanche
ou pour le retrouver, il ne sait pas trop
deux lardons s'agrippent à ses membres supérieurs
eux non plus ne semblent pas savoir pourquoi ils sont là : tant de gens en réunion leur font peur
alors ils suivent leur référent ; c'est lui qui les a amenés, ils sont même le prétexte à cette sortie ; avec un peu de chance, il les en sortira sans dommage
si l'homme ne donne pas l'impression de dominer la situation, il n'est pas un parfait inconnu : certaines têtes sourient ou dodelinent à son passage
quelquefois, on lui adressse même la parole, des enfants & des femmes ; les hommes qui accompagnent ces femmes feignant de l'ignorer
au bord de l'eau, il se joint à un groupe
les lardons se mêlent aux enfants présents
les traits de l'homme se détendent
il n'est plus seul dans la foule
être proche d'éléments connus parait lui donner un regain d'assurance
il s'assied et sourit
le groupe grandit
si la première bière finit de le rendre tout à fait à l'aise, la seconde fait sourdre depuis l'arrière de sa tête une pointe lancinante, à tel point qu'il n'a plus envie de suivre une conversation
le groupe est devenu trop grand de toute façon
l'homme s'isole mentalement, se concentre sur sa douleur
seuls les deux lardons qui se remplissent métronomiquement de frites arrosées au ketchup le sortent de sa torpeur à intervales réguliers : la femme dont ils sont sortis ne lui pardonnerait pas un défaut de surveillance
tournant la tête alentour pour se donner une contenance, son regard s'arrête sur un visage entouré de cheveux blonds qui semblent l'observer
l'effet de surprise passée, l'homme & la femme se rapprochent & se sourient, s'embrassent
leur conversation va durer dix minutes, peut-être quinze, interrompue seulement à deux reprises par le même homme, le compagnon de la femme blonde sans doute
durant tout ce temps, l'homme n'a pas cessé de sourire, il a montré les lardons, hoché la tête, ouvert les bras, regardé en direction d'enfants que la femme blonde lui désignait, hoché à nouveau la tête...
à la troisième interruption, la femme blonde est partie
l'homme a continué à sourire
à une heure qui paraissait convenable, le groupe s'est éparpillé, chacun regagnant son automobile
les lardons avaient du ketchup séché autour des lèvres
l'homme souriait toujours au volant en rentrant chez lui
quelques heures plus tard, avant de se coucher, i l souriait encore en ouvrant sa boîte électronique
la femme blonde souriait aussi dans son coin
elle lui avait envoyé un message : elle était ravie de l'avoir revu, le destin leur avait fait une faveur en les réunissant un court moment, il avait été son rayon de soleil de l'après-midi
il lui répondit que lui aussi n'avait cessé de sourire & qu'il était content qu'elle en fasse de même
en s'endormant, l'homme bedonnant continuait de sourire : il savait désormais qu'il s'était déplacé l'après-midi même pour recevoir le rayon de soleil que la femme blonde voulait lui offrir